mercredi 8 février 2017

Sacré Boris


Un matin il fallut se rendre à l'évidence : le temps avait bel et bien disparu.

Avec une étonnante capacité de réaction, l’ensemble des gouvernements du monde dépêchèrent leurs meilleurs scientifiques pour tenter de comprendre le phénomène. L’univers était en danger de mort, croyait-on, et la race humaine se devait de le sauver. Non pas que l’univers eut été la préoccupation première de ces dernières décennies, mais bien plutôt parce que la disparition probable des hommes à la surface de la terre était une idée insupportable pour la plupart d’entre eux.

Bien entendu, de multiples catastrophes eurent lieu à peu près partout, mais essentiellement dans le domaine des transports. Les horaires n’existant plus, on imagine aisément l’incroyable pagaille et l’imbroglio dans l’organisation minutée des échanges terrestres, maritimes et aériens.

On enterra les morts, on érigea des chapelles ardentes, on lança des milliers de fleurs dans la mer, on indemnisa au plus juste les familles des victimes, puis tout s’arrêta. Tous étaient suspendus aux télévisions du monde entier qui continuaient leurs émissions ad libitum et dans un désordre qui n’étonnait plus personne. Tous attendaient la raison de la disparition brutale du temps et, surtout, le remède que les savants allaient forcément imaginer. Ceux-ci avaient mis énormément de temps pour initier leur travail commun, car afin d’éviter tout dommage irréparable, il avait fallu organiser des téléréunions reliées par satellites, ces derniers étant apparemment les seuls outils de communication fonctionnant encore comme avant.

Il s’avéra bien vite que la terre continuait de tourner à un rythme normal et que, partant, la disjonction du temps n’était pas due à une interruption du cycle des planètes. Cette constatation rassura tout le monde mais n’étonna personne, car on avait bien remarqué que l’alternance des jours et des nuits avait perduré. Ce qui d’ailleurs, laissait perplexe la communauté savante : le temps n’était donc pas lié à l’interaction des planètes, des galaxies et des systèmes stellaires puisque celle-ci existait alors que le temps lui-même n’existait plus. Aucune horloge, pendule, montre n’indiquait quoique ce soit, et pire, l'oscillation du cristal de quartz s’était interrompue également.

On décréta que l’urgence était de retrouver un nouveau référentiel universel suffisamment fiable pour que tous s’y rattache et assez consensuel pour ne fâcher personne. Il fallait recréer artificiellement le temps, ou au moins une matérialisation de son écoulement, si tant est qu’il s’écoulât (seculorum rajoutaient certains plaisantins de mauvais aloi). On entendit même que le temps était une invention humaine, qu’il n’avait jamais existé et que Dieu punissait les hommes par son interruption. Il fallut répondre que Dieu, fut-il tout puissant, ne pouvait interrompre une chose qui n’existait pas auparavant. On rajouta qu’Il serait bien avisé, au passage, de se manifester le plus rapidement possible.

Par ailleurs, on se rendit très vite compte de l’aspect culturel du temps. Le temps des Inuits ou des peuplades de Bornéo est bien différent de celui des traders de la City, des ermites du désert ou des amants longeant les quais à la tombée du jour. La question était terriblement ardue.

Les religions s’emparèrent du sujet arguant que l’éternité était de leur ressort et que les rites conventuels parfaitement maîtrisés depuis des siècles, pourraient devenir le temps universel. Les monastères chrétiens, les lamaseries tibétaines, les muezzins de tout poil et quelques animistes se mirent à sonner les cloches, tourner les moulins à prière, crier en haut des minarets et sacrifier les poulets à heures fixes, se fiant à leurs habitudes pour respecter le rythme séculaire. Ce fut une sacrée cacophonie. Personne ne put s’accorder et les religieux abandonnèrent le terrain se contentant de prier plus ardemment encore, mais à heures plus ou moins aléatoires, pour le salut des hommes.

Les militaires prirent aussitôt la parole : nos armées savent défiler au pas de façon régulière et parfaite. Choisissons une armée d’élite et faisons marcher à une fréquence idéale des hommes se relayant éternellement. Les américains, les européens, les chinois, la garde républicaine et la compagnie royale britannique affirmèrent qu’ils étaient les meilleurs pour avoir l’honneur de donner le temps aux hommes. Une guerre universelle fut évitée de justesse. Les politiques reprirent heureusement la main avant le grand embrasement.

Alors un homme que personne jusque-là ne connaissait, se leva et dit : un seul langage est universel et peut être compris par tous. Ce langage est la Musique. On le traita de vieux fou, puis on réfléchit. L’idée était peut-être la bonne. On demanda à plusieurs compositeurs d’écrire une œuvre dont la durée serait celle de la révolution d’un point fixe de la terre. On choisit un village d’Amérique latine situé précisément sur l’équateur. L’unanimité se fit autour de cette idée, si ce n’est la colère des citoyens de Greenwich qui perdaient ainsi leur principale raison d’exister.

L’œuvre devait se diviser en vingt-quatre opus de durée égale, reprenant vingt-quatre styles de musique de toutes origines. Les artistes s’entendirent à merveille et bientôt le temps avait son opéra universel. Il fallut affiner les réglages, préciser les tempos, répéter des jours durant avec les plus grands instrumentistes du moment pour atteindre la perfection. Enfin, comme le soleil pointait à l’horizon du village choisi, l’orchestre entama la première mesure du premier opus. Lorsque le soleil disparut à l‘opposé, la dernière mesure du douzième opus s’achevait aussitôt suivie de la première du treizième. A l’instant même de sa réapparition, la dernière mesure du vingt-quatrième morceau retentissait. Devant la difficulté à rassembler une nouvelle fois la totalité des exécutants, on avait procédé à un enregistrement unique et en tout point remarquable. Une émission universelle fut programmée pour lancer le nouveau temps humain. L'œuvre ainsi réalisée devait être diffusée en permanence dans le monde entier. Chaque point du globe se calant sur les anciens fuseaux horaires pouvait, en référence à l'heure équatoriale, déterminer alors quelle heure précise il était à tel ou tel moment de la journée. Il serait bien temps par la suite d'inventer une machine l'intégrant et appelée à remplacer les moyens de compter (ou de décompter) le temps.

Après une longue période de tractation en tout genre quant à l’étiquette et à la place qui devait être réservée à chacun, tous les chefs d’état étaient présents, heureux et fiers d’avoir abouti à une solution idéale. Un grand nombre de membres des gouvernements étaient aussi de la fête ainsi que tous les présidents des plus grandes sociétés qui comptaient dans le monde des finances, du commerce et de la consommation, impatients d’être associés à cette œuvre colossale. Dans le grand opéra de Pékin, lieu le plus stratégique du nouvel ordre mondial, ils se tenaient symboliquement la main pour montrer la formidable solidarité qui avait été la colonne vertébrale indispensable à la réussite de cette gigantesque organisation. Devant les peuples massés au pied des écrans géants répartis sur toute la planète, le monde allait enfin recommencer à vivre. La majorité des téléspectateurs se disaient cependant, sans oser l'avouer face à la pensée unique qui prévalait, qu’ils avaient plutôt, pas si mal vécu cette absence de temps.

Dans le silence qui précédait la première note, alors que chacun retenait sa respiration, ont cru percevoir un étrange tic-tac. Rien ne se passa entre les tics et les tacs. Néanmoins, certains s’agitèrent, des têtes se retournèrent, des regards interrogatifs se croisèrent. Le bruit du tic-tac s’interrompit puis une monstrueuse déflagration anéantit d’un seul coup tous les maîtres du monde.

Incrédules d’abord, les peuples poussèrent une immense clameur de joie et une fête universelle et spontanée anima la planète plusieurs jours durant. Peu après l’explosion, les pendules, montres et horloges de l’univers reprirent leur ronde régulière.

Quelque part du côté de Saint Germain des Prés, dans un Paris en liesse, une ombre dit à une autre :
- et bien Tonton, tu as bien réussi ton coup cette fois. L’idée de la musique était vraiment géniale. Ce à quoi l’autre ombre répondit :

- sacré Boris. Au fond c’était assez facile. Allez viens on va danser le bop. N’oublie pas ta trompette.

Histoire inspiré par la chanson : « la java des bombes atomique »


1 commentaire:

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